Accueil A la une La Palestine dans le cinéma tunisien : Des intentions louables, mais…

La Palestine dans le cinéma tunisien : Des intentions louables, mais…

 

Le conflit israélo-palestinien donne lieu fréquemment à des films documentaires ou de fiction dont la principale fonction est de montrer et expliquer ce qui se passe dans une région à l’histoire aussi complexe que sensible. La complexité de la matière peut donner lieu à des effets d’éclaircissement ou de simplisme. Les films essaient de faire entrer de force dans des structures narratives, souvent approximatives, des personnages, des situations, des symboles et des enjeux politiques. Certains films sont carrément caricaturaux. Ces films, auxquels il est fait allusion, sont réalisés par des cinéastes non palestiniens.

Le cinéma tunisien compte quatre longs métrages : « Mon village », «Les hirondelles ne meurent pas à Jérusalem», « Le royaume des fourmis » et le dernier en date « Spy List » qui traitent de la cause palestinienne et de ses divers enjeux. Quels regards portent les cinéastes tunisiens sur la cause palestinienne ? Leurs films ont-ils contribué à donner un éclairage sur les enjeux du conflit israélo-palestinien ? Quel traitement cinématographique ont-ils adopté pour se différencier de l’actualité télévisée ? Sans prétendre présenter une étude approfondie, nous allons juste ouvrir des pistes critiques sur les quatre films tunisiens ayant abordé la question palestinienne.

« Le royaume des fourmis » de Chawki Mejri (2012)

Sans remettre en question la bonne foi des réalisateurs qui se sont investis dans ce sujet, on notera, de prime abord, que les tournages, excepté « Les hirondelles ne meurent pas à Jérusalem», ont été effectués hors Palestine.  Certains cinéastes ne connaissent pas les territoires occupés et n’y ont jamais mis les pieds. Leur source d’inspiration provient des films notamment palestiniens ou des reportages d’actualité.

Visions manichéennes

«Mon village» de Mohamed Hammami (1979), premier film tunisien consacré à la Palestine, parle d’un groupe de rebelles qui mène des actions de guérilla contre l’occupant israélien et crée un climat d’insécurité dans les rangs des sionistes, et ce, dans le but de libérer leur village occupé. L’intention est bonne, mais le point de vue cinématographique reste aléatoire. Réalisateur de télévision, Mohamed Hammami n’a pas pu se détacher de ce qu’il a l’habitude de faire. Tourné en grande partie dans des décors intérieurs, les personnages sont figés. Aucune émotion ne se dégage du film porté pourtant par de grands acteurs tels que Hamadi Jaziri, Mouna Noureddine, Hattab Dhib, Hassiba Rochdi et d’autres ! Un ratage total critique et commercial dont il ne se relèvera jamais. « Mon village» est, d’ailleurs, son seul et unique film au cinéma.

15 ans après, Ridha Béhi réalise « Les hirondelles ne meurent pas à Jérusalem » (1994). Tijani Zalila, Didier Decoin et Ridha Béhi se sont mis à trois pour écrire le scénario. Et ce n’est pas sans raison pour un sujet aussi délicat. Consacré par le Prix de la critique internationale (Fipresci) pour « sa contribution importante à l’étude de l’évolution du processus de paix au Proche-Orient », le film se veut une dénonciation de l’abandon des Palestiniens depuis des décennies par les régimes arabes (d’ailleurs cela continue encore). Choisissant une forme hybride entre la fiction et le reportage, le réalisateur a mis l’accent sur deux histoires parallèles : celle d’un reporter français qui se trouve en Palestine, la veille d’une éventuelle signature de paix entre Israéliens et Palestiniens, et un guide palestinien chaleureux et volubile.

« Les hirondelles ne meurent pas à Jérusalem » de Ridha Béhi (1994)

Le film lève le voile sur une possible réconciliation et une probable vie en commun. Or, la réalité est tout autre. L’espoir d’une paix possible est certes permis mais pas avec autant d’enthousiasme. Le point de vue du cinéaste construit sur le doute trahit manifestement le réel. Agrémenté d’une histoire d’amour pour apporter une certaine douceur dans une situation chaotique, l’œuvre perd un peu de son équilibre et bascule dans une sorte de brouillage infaillible. Malgré un casting international conquis à la cause palestinienne constitué d’acteurs comme Jacques Perrin, Selim Dhaou, Hichem Rostom et Ben Gazzara, le public est resté impassible face à cette aventure à laquelle Yasser Arafat a, pourtant, contribué financièrement par le biais de Fatah.

18 ans après le troisième film tunisien traitant de la cause palestinienne, « Le royaume des fourmis » (2012) de Chawki Mejri dont les événements se déroulent en 2002 en Palestine sous les bombes quotidiennes déversées par des hélicoptères Apache et des blindés qui sèment la mort et la désolation. Des bulldozers rasent des maisons et des quartiers entiers. Dans ce décor funeste, un couple séparé après le mariage se retrouve après des années pris dans un conflit meurtrier qui le dépasse.

Malheureusement entre intime et épique, le film n’a pas les moyens de ses ambitions. Le scénario signé par Chawki Mejri et Khaled Tarifi tente d’explorer «la surface et les profondeurs de la terre, l’apocalypse et la sérénité, la réalité violente et le rêve compensateur, l’histoire et le mythe », un long programme qui nécessite sûrement un feuilleton comme sait le faire habilement Chawki Mejri à la télévision syrienne et égyptienne mais pas une œuvre cinématographique de plus de deux heures.

A l’instar des films précédents, une vision manichéenne du conflit israélo-palestinien est suggérée. Les bons (Palestiniens), d’un côté, et les méchants (Israéliens), de l’autre. Les victimes et les bourreaux sont portés par un casting approximatif. Saba Moubarek  (épouse du réalisateur) ne s’est pas déconnectée de l’image feuilletonesque qui lui colle à la peau sans parler de son partenaire Mondher Rayahna, loin du rôle sans parler du reste des acteurs.  « Le royaume des fourmis » sera quand même récompensé du Grand prix de la 16e édition du Festival africain de Khouribga (Maroc) 2023. 11 ans plus tard, Fredj Trabelsi, réalisateur producteur et scénariste de « Spy list », propose un film d’espionnage sur la Palestine. Produit avec seulement 200.000 mille dinars et tourné entièrement dans des décors intérieurs à Sousse, le film aborde le sujet à travers « le piratage d’une base de données du Mossad israélien par un ingénieur tunisien. Une liste nominative d’espions juifs a été identifiée dont la mission est de semer le chaos créatif dans certains pays qui soutiennent la cause palestinienne afin de renverser leur régime».

A partir d’un scénario assez confus, « Spy list » est plombé par une réalisation trop démonstrative et des personnages caricaturaux, les bons d’un côté et des méchants de l’autre, portés par des acteurs qui ne parlent pas mais gueulent, des dialogues accusateurs, une caméra tremblotante. Tourné presque entièrement dans des décors intérieurs, le film, mené comme un thriller, dessert la cause palestinienne et lui porte préjudice. Mais souvent les bonnes intentions ne suffisent pas pour réaliser une œuvre éloquente.

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